les femmes de la Bible 6

Noémie

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Une femme, médiatrice généreuse, avisée, aimée, permet à la vie de se poursuivre et de croître, au-delà du deuil.

 

Noémie –Naomi : son nom vient de l’hébreu qui signifie « aimable, agréable, gracieuse ».

Ce personnage féminin apparaît dans le Livre de Ruth, l’un des livres de la troisième partie de l’Ancien Testament. Il est un récit littéraire qui permet de faire connaître le point de vue des Sages (auteurs des Ecrits ou livres de sagesse), au sujet de la place de l’étranger, de l’étrangère en Israël à cette époque. L’auteur est inconnu, il semble avoir utilisé une histoire du temps des Juges (Rt.1.1.) pour parler des problèmes de son temps.

Le contexte. En ce temps-là, il faut souligner qu’il y a beaucoup de pauvreté dans le pays. Les gens vivent de l’agriculture, mais ne sont plus propriétaires de la terre. Le pauvre qui possède encore un petit lopin est obligé de l’abandonner ou de le vendre à cause des impôts. Pour ne pas mourir de faim, beaucoup de gens arrivent même à vendre leurs propres fils et filles comme esclaves ; esclaves pour travailler la terre des autres. Il y a bien une loi qui dit que ce qui reste dans le champ après la moisson revient aux pauvres ( Lv. 19,9-10 ), c’est un droit donné par Dieu, mais le pauvre n’a le droit de glaner le reste, uniquement si le patron du champ lui en donne la permission. Le droit a été transformé en aumône. La loi dit aussi que si quelqu’un est obligé de vendre son terrain à cause de sa pauvreté, son parent le plus proche doit le racheter pour éviter que la famille reste sans terre ( Lv 25,25 ), mais les parents riches ne s’intéressent plus à leurs frères pauvres et ne respectent plus la loi, au contraire, ils exploitent la famine et détournent les lois pour voler la terre aux pauvres (Ne 5,3-5 ; Rt 4,3-4). La solidarité de la famille, du clan n’existe plus et la misère oblige les gens à émigrer.

Esdras, un influent docteur de la loi, (Esd 7,6), pensait que la souffrance du peuple était le châtiment de Dieu. Châtiment de leur relâchement dû aux mariages mixtes avec des femmes étrangères et laissant s’implanter des coutumes païennes. Esdras proposa donc de renvoyer les femmes étrangères et leurs fils (Esd 10,3.11). Il voulait reconstruire le peuple autour de l’observance de la loi de Dieu (Ne 8,13) par un retour à la pureté de la nation (Esd 9,2).  C’est dans ce contexte que le Livre de Ruth semble avoir été écrit.

Le récit. Noémie a déjà un âge certain lorsqu’elle quitte le pays de Moab pour retourner chez elle, en Israël. C’est à cause d‘une famine qu’elle était partie à l’étranger, c’est la même cause qui l’incite à y retourner. Elle a perdu Elimélek son mari, et ses deux fils Mahlôn et Kilyôn. Elle rend leur liberté à ses deux belles-filles afin qu’elles puissent « refaire leur vie ». L’une, Orpha s’en va, non sans tristesse. L’autre, Ruth, refuse d’abandonner cette vieille belle-mère et veut la suivre dans son retour au pays natal :  Ne me presse pas de t’abandonner et de m’éloigner de toi, car où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je demeurerai; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu. Là où tu mourras, je mourrai et là je serai ensevelie. Que Yahvé me fasse ce mal et qu’il y ajoute encore cet autre, si ce n’est pas la mort qui nous sépare ! Rt.1,16ss. Cette extraordinaire déclaration de fidélité de Ruth touche le cœur de Noémie qui finalement accepte sa proposition. Remarquons que l’auteur utilise le mot ‘hesed pour parler de l’amour inébranlable dont fait preuve Ruth à l’égard de Noémie. A ce moment-là, par une incroyable audace du rédacteur, c’est elle – l‘étrangère – qui exprime la sollicitude de Dieu pour Noémie, l’Israélite ( le mot ‘hesed sert à désigner l’amour constant de Dieu pour son peuple au sein de l’Alliance).

Elles arrivèrent au début de la moisson des orges. A ce moment-ci, Noémie prie son Dieu sous le nom de Shaddaï – le Puissant – car elle croit que Yahvé l’a abandonnée, et elle demande à ses connaissances de ne plus l’appeler Noémie, mais  « Mara, amère » , car dit-elle « Comblée j’étais partie, mais vide Yahvé me ramène », Rt. 1,20ss.

Ces deux femmes s’organisent pour survivre. Noémie se souvient des lois concernant l’étranger, la veuve, l’orphelin, que l’on doit laisser glaner les champs afin qu’ils puissent avoir de la farine et du pain. Mais aussi de la loi qui commande au frère du mari d’épouser la veuve pour qu’elle ne tombe pas dans la misère, que les biens restent dans le clan, et que le nom de la famille soit honoré. Ruth va glaner et se trouve  par hasard dans le champ du cousin Booz. Il parle avec cette belle travailleuse étrangère, apprend son lien avec Noémie et la manière dont elle l’a entourée ; et commande à ses gens de la laisser faire sans la rudoyer.

Puis, Noémie dirige les activités de Ruth et de Booz à travers diverses péripéties jusqu’à ce que leur mariage – devant tout le peuple  – conclue la situation. Un enfant naît, il se nomme Obed. Et Noémie est comblée et bénie à travers lui, car elle a une descendance malgré la mort qui avait frappé si durement sa vie. Elle a repris confiance, loue le Seigneur et reprend son prénom.

Noémie présente ici l’intelligence des Sages  (auteurs des Livres de sagesse) qui sait tenir compte des circonstances pour intégrer l’étrangère ( et quelle étrangère : la ressortissante d’un pays ennemi) et transformer le dur matériau de l’histoire en pain pour la vie, celle d’une famille, celle d’une cité ; et même celle d’un peuple, puisque Obed, fait partie de la généalogie de David. Il y a donc encore, là, une critique de l’idéal de pureté national puisque le grand roi David avait une aïeule moabite.

La forme d’intelligence active qui s’exprime par Noémie, par Ruth, ainsi que par le cousin Booz, se différencie de celle des maîtres d’Israël ( Esdras en particulier) qui n’acceptent plus les mariages mixtes. Les deux fils de Noémie n’en avaient –ils pas contractés ? Et le nouveau mariage mixte entre Booz et Ruth est béni par la venue de l’enfant. Le texte souligne que le fait d’avoir été marié à un Israélite donne parfois à une étrangère la possibilité de s’intégrer à la vie sociale et religieuse de ce pays ; à bénéficier de ses lois et coutumes.  Noémie est  la représentante de l’esprit des Sages, moins rigide, moins excluant, plus tolérant, que celui des tenants du pouvoir en place.Noémie, une figure de médiatrice, généreuse et avisée, entre l’extérieur et l’intérieur du pays, entre Moab – où elle trouva nourriture en un temps de famine – et Bethléem de Juda, cité où sa famille était installée depuis longtemps (Rt.1,2 ; 4, 22).

1. Par exemple, A. Lacoque, Subversives, Un pentateuque de femmes, cerf, 1992

Image : Ruth and Naomi (engraving) Illustrated Bible History (1881) by Bill Publishers