prophétesse, juge, cheffe de guerre
Déborah : ce mot, ce nom, signifie abeille, mais il évoque aussi l’harmonie et sa racine hébraïque est la même que celle de parler, ce qui évoque la capacité de communiquer.
Il y a deux Déborah connues dans les textes bibliques, l’une est la nourrice de Rébecca l’une des matriarches du Livre de la Genèse. C’est la seconde, la plus connue, qui nous intéressera ici. Elle appartient au Livre des Juges.
Déborah femme prophétesse, épouse de Lapidoth, ce texte la désigne par sa féminité, sa fonction, son statut. De plus, elle démêle les situations embrouillées, elle est juge. Elle siège, en plein air comme c’était la coutume, sous le palmier de Débora, entre Ramah et Beth El, sur le mont Ephraïm. Les Israélites montent vers elle pour régler leurs conflits comme le dit Jg.4, 4-5. Or ces deux lieux ne sont pas anodins : l’un, Rama (hauteur) est l’autre nom de Bethléhem où fut enterrée Rachel, la femme aimée de Jacob, et l’autre, Beth El, est l’ancien nom de Jérusalem, lieu ainsi nommé quand Jacob se réveilla de son rêve d’échelle qui reliait terre et ciel. Déborah ne choisit pas son territoire au hasard, se tenant là précisément « elle rapproche les cœurs des amants séparés, elle unit Israël et diaspora, elle rassemble le cœur de toute la communauté « dira P. Haddad. C’est pourquoi elle se tiendra sous le palmier car « De même que le palmier n’a qu’un cœur ainsi tout le peuple durant le règne de Déborah n’avait qu’un cœur », dit le traité Méguilah (14a).
Mais Déborah est aussi une femme d’action. Au XIIe s. environ av. J.-C., la situation est difficile pour les tribus israélites. Les Cananéens veulent les réduire en esclavage ou les chasser du pays. Ils menacent de couper les tribus du nord de celles du sud en occupant la plaine d’Esdrelon.
Entre le général ennemi Sisera et Déborah deux mondes s’affrontent que le sens de leurs noms indiquent : le premier évoque le broyage, le concassage, l’action violente ; le second évoque l’intelligence qui sait séparer les éléments, soit discerner, ou encore la flamme qui éclaire (par son lien à son mari nommé Lapidoth, mot qui contient le terme ‘lapid : la flamme ou, autre interprétation, par les mèches qu’elle préparait pour le chandelier du temple). Elle a donc une intelligence qui discerne et éclaire. On comprend ainsi sa fonction de juge et de prophétesse. Alors que le roi ennemi et son général renvoient à la conquête des espaces géographiques, « une femme au discernement effectif reconstruit la parole, repousse l’obscurité et fait régner la justice » dit Haddad.
Débora s’adresse à un chef militaire Baraq (l’éclair). Au nom du Seigneur elle demande à ce chef de la tribu de Nephtali, de rassembler dix milles hommes sur le mont Tabor. Lui sait que sa propre puissance, si elle a la fulgurance de l’éclair, ne dure pas, aussi il lui répond : « Si tu m’accompagnes j’irai, sinon je n‘irai point ». Il veut s’appuyer aussi sur l’intelligence lumineuse de Débora. Il veut qu’elle l’accompagne sur les montagnes. Elle accepta. Le général cananéen Sisera déploie ses chars. Au jour choisi, Débora demande à Baraq de passer à l’attaque. Une pluie torrentielle s’abat sur la vallée. Les chars des Cananéens s’embourbent. C’est la panique. (On pense à l’exode et aux chars égyptiens bloqués et submergés). Les cananéens sont vaincus et leur général en fuite sera tué par une autre femme, Yaël (Jg. 4,4-22). Ayant allié leurs compétences, Baraq et Débora obtiennent la victoire. Et nous dit le texte, ensemble il la chante « Et Déborah chanta avec Baraq fils d’Avinoam ce jour là ». Plus loin dans ce poème, elle se nomme comme mère protectrice faisant régner la paix :
« Les commanderies avaient cessé en Israël, avaient cessé jusqu’à ce que je me sois levée, Débora, que je me sois levée, mère en Israël », Jg.5,7. Et le texte conclut en rappelant que le pays fut tranquille durant quarante ans.La lectrice, le lecteur, de la Bible connaît cette histoire par deux formes d’écriture : d’une part, un long poème épique, qui était vraisemblablement chanté, pour célébrer la victoire, puis, utilisé pour célébrer d’autres victoires. Ce chant de Déborah (Jg.5,1-31) est un des très anciens textes de la Bible. Et de l’autre, le récit, plus récent, de cette bataille, Jg. 4,1-24.
De retour d’un périple en Israël, j’avais dédié un petit poème à cette étonnante femme de la Bible:
Débora
Mère debout, mère en armes
Toi qui affronta et défit les ennemis de ton Israël
N’entends-tu pas ?
Les plaintes des enfants qui montent encore de cette terre
Encore pris aux filets de la guerre
Encore en quête d’un peu de paix
D’un rien d’amour…
Extrait de poème de Michèle Bolli, Margelles.
Ci-dessus : image web : eg.org/lit/bible/hist./juges3.htm
P. Haddad, Ces Hommes qui parlaient, Réflexion sur le prophétisme, Laurens, Paris, 1997